André THOREAU - Ressources

A BIR BU MAAFES, UN TELEGRAMME

Par André THOREAU.

 

« 27 mai, au matin. Une lourde angoisse a envahi les échelons de la 1ère Brigade, installée à Bir Bu Maafès, large vallée quelque part entre Bir-Hacheim et Tobrouk. II y a là quelque deux cents camions appartenant à toutes les unités dont un atelier lourd. Pas une arme lourde pour les défendre. La veille Bir-Hacheim demanda l'envoi des deux 75 pour les échanger contre deux anti-chars. Les 75 sont partis, les anti-chars ne viendront pas.

On sent la bataille. Le téléphone avec Bir- Hacheim est coupé. Un officier britannique est envoyé en liaison au 30e CA britannique. On sent cette bataille du désert où l’ennemi peut venir de partout.

Quelle est la mission d'un échelon ? A la fois sauver les camions et rester aussi près que possible des unités au combat.

On peut sauver des camions qui roulent, mais des camions arrêtés en position fixe depuis longtemps, assez dispersés pour être difficiles à commander, sont une cible trop belle.

Il faut bouger, mais pour aller où ?

Alerte est donnée, car il est pensé que l'important c'est de bouger.

Et, tout à coup, au départ d'un petit saut vers l'est, à hauteur des éléments du Train, des chars ennemis, à défilement de tourelles, tirent.

Pagaille réglementaire, et sang-froid des vieilles troupes harmonisent de départ. Nous passons de justesse devant les éléments avancés ennemis qui nous causent quelques pertes.

Une liaison arrive enfin des Britanniques. Nous allons à une quarantaine de kilomètres à l'est de Bir Bu Maafès.

Et Bir-Hacheim ? Que se passe-t-il ? A-t-on besoin de nous?

Enfin, nous recevons le télégramme suivant:

« Poil du cul vigoureux jusqu'au trognon. » Bir-Hacheim a repoussé l'attaque, l'échelon est en ordre. Tout va bien, le 27 mai.

Et on a su plus tard que les Allemands se sont donné un mal de chien pour trouver le code du télégramme.

C’était notre code à nous. »

 

Extrait de la Revue ICARE n° 101, 1982. Mai juin 1942. Il y a quarante ans Bir Hakeim. Deuxième partie.

 

Extrait des mémoires de Gustave Camerini dit Clarence, "Ce soir, nous monterons tous au paradis".

Dans cet extrait, Camerini évoque sa rencontre avec "Toro", c'est à dire André THOREAU, un jour très particulier, celui où , dans la bataille de l'Himeimat est tué une grande figure de la 13e Demi-Brigade de Légion Etrangère, le lieutenant-colonel Amilakvari...

 

« Je descends de ma Jeep à la recherche des différentes compagnies. Moi j'étais originaire de la 2e compagnie, qui se trouvait également en ligne et se préparait pour l'attaque. Je vais voir le capitaine Morel qui commande la compagnie, je ne sais pas ce qui va se passer, mais moi je préviens que, bien ou mal, je ne lâcherai pas ma compagnie. Si on veut me rendre ma section, on me la rend, si on ne veut pas me la rendre — c'était la 1ère section —, je m'arrangerai d'une autre façon. Je descends de ma Jeep, je marche, et tout à coup je vois arriver de loin deux officiers bien connus de moi : le lieutenant-colonel Amilakvari et le capitaine Saint-Hillier, vieilles connaissances évidemment. Dès que je les vois, je flaire le danger, car je n'étais quand même pas en situation régulière dans ces parages, je me dis : « II vaut mieux que je tourne les talons », et je les tourne immédiatement. Trop tard ! On m'a vu. J'entends la voix d'Amilakvari : « Clarence, venez ici ! » Rien à faire ! Demi-tour, je me présente. « Qu'est-ce que vous faites là ? » Je réponds froidement : « Je viens me battre, comme toujours. » C'est tout. « Mais mes cadres sont complets ! », me dit Amilakvari. « Tant pis, j'irai me battre tout seul ! — Pas sérieux », répond-il. À ce moment-là, je commence à me fâcher. Amilakvari, qui comprend très bien la chose, me dit : « Écoutez, j'ai besoin de vous, vous allez quand même, sans besoin de venir attaquer avec nous, rester ici à l'arrière avec un chef d'état major... », je ne sais pas ce que c'était comme chef d'état major, le capitaine ou commandant Toro (Thoreau) , je ne sais pas très bien ce qu'il devait être ; c'était un civil d'Alexandrie, très intelligent ; il s'occupait d'assurances, je crois, en Egypte, et il était devenu militaire. « Alors, allez avec lui un instant, restez pendant que nous conduisons l'opération, car c'est une opération qui va partir ce soir, et il faudra voir ça. Je désire d'ailleurs que vous fassiez une liaison auprès du général Koenig, car il va nous suivre pas à pas. » Puis il m'a chargé de quelque chose, qui devait avoir lieu entre cette espèce d'état major immobile, celui de Toro (Thoreau), et le général Koenig lui-même. C'était vague, ce n'était pas très clair. Peut-être un truc pour se débarrasser de moi à ce moment-là, je ne sais pas.

Un peu furieux, mais je sentais quand même encore de la discipline dans tout cela, je fais demi-tour, et je dis : « Bon, d'accord, ça va. L'attaque aura lieu ce soir. Les trois bataillons vont partir, moi je vais faire cette liaison avec ce commandement. » Je m'y rends, ce n'était pas loin. J'y trouve Toro (Thoreau), d'autres officiers que je revois encore. Je fais savoir que je suis chargé de ceci, un de nos camarades, un garçon intelligent, capitaine, je crois qu'il a été tué après, me dit : « Bien, espérons qu'ils ne soient pas foutus en l'air, tous ces bataillons qui vont partir ! » Je ne sais pas pourquoi il me dit ça.

Nous parlons un instant, je reste là et qu'est-ce que je vois ? Une trentaine de prisonniers italiens, fascistes, qui étaient de la Folgore. Ils étaient d'assez bonne humeur. C'était de soi-disant parachutistes de l'armée de Mussolini, car Mussolini n'étant pas en mesure de créer quoi que ce soit, avait inventé ce régiment qui portait des insignes de parachutistes et tout, mais n'avait jamais vu un parachute. Mais ceci n'a pas d'importance, c'était plus ou moins la situation de l'armée italienne à l'époque. Je suis immédiatement entouré par ces Folgore qui crevaient surtout de soif et me demandent de l'eau. La Jeep qui m'avait accompagnée n'était pas loin, je leur fais donner de l'eau et j'ai le sentiment évident que je n'ai qu'à ouvrir le bec, à parler, ils ne demandaient qu'à me raconter tout ce qu'ils savaient. C'était mon impression mais, le service de renseignements, moi, je n'en étais pas du tout chargé — j'ai l'impression qu'on n'en avait pas du tout, qu'il n'existait plus, mais je ne veux pas parler de ça longuement car je ne suis pas là pour faire des critiques inutiles. Je termine avec mes Folgore auxquels j'avais fait donner de l'eau pour les tranquilliser. Je ne réponds pas à leurs questions parce que je ne fraternise pas avec l'ennemi et je m'installe dans ce PC.

Le soir tombe, la nuit tombe. Cette fois, toute notre demi-brigade est partie. On n'en sait plus rien. Je m'endors un peu parce que je commence à en avoir assez : j'ai une mission auprès de Koenig mais on ne me dit rien. Nous, ceux de l'arrière, nous restons un peu seuls, et nous attendons ce qui va se passer. Mon pauvre ami, en pleine nuit, ce qui se passe, c'est qu'on entend des tirs d'artillerie ennemie, et puis de temps en temps on voit quelqu'un qui arrive épouvanté. « Mais qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui se passe ? » Nos unités sont rejetées en l'air, une après l'autre, je ne sais pas comment ni pourquoi, dans la nuit, on ne voit goutte ; on ne sait rien, on sait simplement que les choses vont mal. Je me suis à moitié endormi quand j'entends Toro (Thoreau) : « Mon Dieu, il a été tué, il a été tué ! » Je me lève : « Quoi, qu'est-ce que c'est ? — Amilakvari vient d'être tué !